Nous sommes le 13 juillet 1984. Nous venons de souper chez Samir Frangié, mon épouse et moi, avec Mohsen Ibrahim et deux autres amis. De retour chez nous à une heure du matin, je téléphone au directeur de la rédaction pour m’enquérir de l’avancement du travail, lorsque le standardiste entre en ligne pour me dire que « cheikh Rafic Hariri » m’a appelé. Je lui réponds : « Il est déjà tard, je le contacterai dans la matinée ». Quelques instants plus tard, il me rappelle : « Cheikh Rafic Hariri est de nouveau en ligne ». Après les salutations d’usage, je comprends que ce dernier désire à tout prix me rencontrer ; je propose qu’on remette cette entrevue au matin, arguant de l’heure tardive, mais il insiste. Je demande alors à mon chauffeur Fouad de m’accompagner. Cette rencontre pressante ne semblera cependant avoir aucun mobile précis ; nous ne faisons qu’y papoter et jaser à l’envi. ? trois heures du matin, je rentre enfin chez moi. Au moment où je mets pied à terre, un coup de feu éclate, puis un second qui touche Fouad à la poitrine, et un troisième ; les billes de chevrotine du fusil à pompe nous arrosent, nous atteignent, Fouad et moi. Des morceaux de dalle de l’entrée volent en éclats et blessent le gardien de l’immeuble à l’œil, qui ne porte pas d’arme.
? cette heure, pas âme qui vive pour nous aider, tout le monde dort ; de toute façon, la peur retiendrait celui qui, d’un sommeil plus léger, aurait entendu les coups de feu. Fouad perd du sang, mais il rassemble ses forces et se précipite courageusement dans l’immeuble ; il parvient chez moi au deuxième étage, où il alerte mon épouse et ma belle-mère. Il faut rapidement trouver quelqu’un pour nous transporter à l’hôpital. Partagés entre la méfiance et l’urgence de la situation, nous acceptons finalement l’aide d’un soldat du village de Machghara qui propose de nous emmener.
Dans les jours qui suivent, la réaction populaire est merveilleuse. Les visiteurs affluent à l’hôpital, les roses s’amoncellent dans les chambres et les halls d’entrée. Puis, lorsque la douleur se calme, on m’apprend que je dois me faire reconstituer la bouche. Cela nécessite quarante-sept interventions chirurgicales, des séances qui dureront parfois jusqu’à sept heures ou plus. Mais les gens, le peuple, m’apportent tant d’amour et de bienveillance, qu’ils me font oublier ma peine ; grâce à cette force qu’ils me prodiguent, je sors de cette épreuve encore plus résolu à poursuivre ma mission. Ainsi en juillet j’ai depuis lors un anniversaire de plus à fêter ; j’ajoute chaque année ce 13 juillet 1984 au 14 juillet 1789 de la Révolution française, et au 14 juillet 1958 de la première insurrection qui changea la face de l’Irak!
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