Maître, c’est ainsi qu’il me plaît de m’adresser à vous car ce titre ne sied à nul autre, vous fûtes une grande école, par votre immense culture, votre connaissance profonde de ceux qui ont fait l’histoire, la noblesse et la pureté de votre langue, façonnée pour raconter notre misère et notre grandeur, nos victoires et nos défaites, notre place dans le monde et notre droit mérité de nous forger un destin de nos propres mains, par la seule force de notre volonté.
Fidèle à vous-même, vous avez écrit avec la conscience d’un juge, reprenant sans cesse les faits devenus histoire pour enseigner à des générations entières, l’analyse et le discernement, afin qu’elles séparent le vrai du faux, la « nouvelle » vérifiée de celle que l’on fabrique de toutes pièces. En politique vous avez livré bataille pour que ne se perdent pas les acquis et la mémoire des héros qui en furent les artisans. Vous avez contribué à démasquer les lâches, les laxistes et les faussaires de l’histoire qui ont outragé l’Egypte et humilié le monde arabe, ceux-là mêmes qui ont scellé une réconciliation traîtresse avec l’ennemi et fait insulte au sang des martyrs.
Vous parliez le langage de la raison, dont vous éclairiez nos consciences, ancrant dans les esprits, sur plus de deux ou trois générations, l’idée d’un destin unique, non parce que nous avons un ennemi commun, ce qui est pure contingence, mais fondamentalement sur la base de l’unicité de notre histoire et de notre géographie, comme d’un pathos partagé qui aspire naturellement à la complémentarité, tout au moins par une forme minimale d’union, fédérale ou confédérale, puisque l’union véritable demeure, dans les limites du prévisible, utopique.
Vous avez été soutenu par les prises de position mémorables des foules dans l’ensemble de la nation arabe : oui, elles étaient aux côtés de l’Egypte dans les batailles qu’elle a dû livrer, de l’agression tripartite qui sanctionnait la nationalisation du canal de Suez, à l’assignation de Nasser au poste de dirigeant, forçant à respecter le peuple comme il doit l’être, de même que ses forces armées, y compris après la défaite du 5 juin 1967 et jusqu’à la revanche perdue de 1973 entérinée par des accords ultérieurs humiliants, tant pour l’Egypte et la Palestine que pour la mémoire des martyrs de guerre.
Maître, vous fûtes les archives vivantes des événements cruciaux qu’a traversés la nation, vous fûtes un phare pour des générations entières, unique par votre connaissance directe des acteurs de chaque événement. La précision avec laquelle vous avez transmis les idées de chacun à la faveur d’un débat fécond, eut le mérite d’explorer des horizons inédits, mais aussi de corriger les concepts erronés diffusés par des protagonistes qui œuvraient à saper la détermination de la nation, à porter atteinte au citoyen dans sa dignité et à ébranler sa confiance en lui-même. Vous nous avez appris à nous délivrer de l’égarement des dictatures comme de la falsification de la fonction du religieux. C’est seulement à cette condition de délivrance qu’il nous sera enfin possible de revendiquer une compréhension du patriotisme, et de reconquérir cette arabité authentique qui lui est indissociable.
Vous faites partie de ces grands hommes qui ont sauvé l’honneur du journalisme dans le monde arabe. Maître, vous semblez avoir choisi le moment de votre départ. Car avec vous s’éteint la presse écrite.
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