طلال سلمان

On m’accuse d’être un rêveur de l’arabisme

Les noms et les expressions politiques qui ont prévalu tout au long du siècle écoulé, depuis l’accord Sykes-Picot (1916) et la Déclaration Balfour (1917), n’ont plus les connotations prestigieuses qu’ils avaient jadis. Nous voilà errant dans ce chaos sanglant où nous vivons désormais. Autrefois quand vous disiez le mot « Arabes », toute une géographie se dessinait dans votre esprit, une carte qui déployait la dimension de vos rêves, du Golfe à l’océan mugissant.
Mais aujourd’hui vous devez admettre, à contrecœur, le chancellement de l’identité unificatrice, pire, celle-ci est devenue si lourde à porter que certains se sont mis à la renier.
Parmi vos camarades et vos anciens amis, il s’en trouve même qui n’hésitent pas à vous accuser de vivre un rêve irréaliste, mythique, infondé, ou d’errer parmi les poètes dans le désert de votre imagination.
« Vous êtes en dehors de votre époque », disent-ils.
« Vous vivez dans les légendes du passé pour échapper aux réalités du présent, que vous refusez de reconnaître à cause de leur dureté, vous avez peur d’admettre avoir été vaincu… »
« Vous fuyez votre réalité amère vers la subtilité de la poésie qui enchante ses auditeurs, et pourtant vous êtes conscient qu’il ne s’agit que d’illusions… »
« Vous considérez que la réalité insulte votre humanité, qu’elle brise vos ambitions, vous vous obstinez à poursuivre votre voyage imaginaire au cœur du mirage, en vous référant à la poésie ou aux contes anciens, à quelque patrimoine religieux ou à des histoires dérivées des Mille et Une Nuits, aux romans de Jerji Zaidan, ou même aux écrits des penseurs pionniers qui ont recréé l’arabisme en se basant sur des vérités partielles, trop éloignées d’un contexte historique pourtant incontournable et indéniable… »
Il est difficile en ce moment de dessiner une carte pour le rêve de la nation arabe. L’identité arabe a été anéantie par les accords coloniaux, ceux de Sykes-Picot et la Déclaration Balfour pour la création d’une entité sioniste sur nos terres. Les « Etats » arabes, auxquels les desseins coloniaux avaient donné naissance par césarienne, se sont avérés à long terme des entités non viables, aujourd’hui déchirées dans la plupart des régions du Machrek, mais aussi dans certains pays du Maghreb (pour ne pas oublier la Libye). Trop de pays ont perdu toute notion d’unité à l’intérieur de frontières pourtant bien enracinées, si bien que dans un même Etat il y a maintenant plusieurs peuples et non un seul, des communautés multiples qu’aucun patriotisme ne relie plus. La spécificité du peuple arabe est menacée de disparition… Seule demeure cette image d’un Orient arabe lugubre, qui laisse présager de sérieux dangers pour son présent et son futur, tandis que son sort est laissé entre les mains de forces capables de le reformuler à leur manière, dont Israël en premier lieu… Israël dont la chute arabe a fortifié l’alliance avec les Etats-Unis, jusqu’à presque communier en un destin unique, Israël qui amorce dans le même temps une excellente coopération avec la Fédération de Russie. Israël qui, pendant que les Arabes s’entretuent, re-judaïse ceux qui avaient délaissé leur identité religieuse, les accueillant comme colons et confisquant en parallèle ce qui reste des terres palestiniennes…

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