طلال سلمان

Les cinq visages de Michel Aoun

Michel Aoun vient de commencer son mandat en tant que treizième président de la République libanaise. Qui est ce Président légitime, élu par une majorité qui dépasse dûment les deux tiers des voix, acculée à la nécessité de combler le vide présidentiel ? On se souvient d’abord de lui comme commandant en chef de l’armée, puis chef d’un gouvernement militaire nommé par l’ancien Président Amine Gemayel – un gouvernement dont les trois membres ont démissionné dès la publication des décrets, le 22 septembre 1988 à minuit…
Mais au cours des trente dernières années, les Libanais ont connu plusieurs visages de Michel Aoun. Le premier est en effet celui du chef d’un gouvernement militaire amputé de ses membres démissionnaires pendant la guerre civile, et qui a donné naissance à deux gouvernements successifs : l’une était légitime, la seconde a vu sa légitimité contestée – Aoun s’était alors considéré comme le seul Président naturel puisqu’il était maronite, dans un gouvernement pourtant réduit à trois membres et à une seule couleur confessionnelle. Le deuxième visage est celui du héros de la « guerre de libération », opposé aux forces syriennes présentes au Liban suite à une décision arabe, dans un conflit qui a coûté beaucoup aux Libanais, et qui a forcé le général Michel Aoun à s’enfuir du palais présidentiel pour se réfugier à l’ambassade de France – sa famille restée au palais n’en sortira qu’après négociations. Ce visage est aussi celui du héros de la « guerre d’annulation » menée contre le commandant des Forces libanaises Samir Geagea, lorsque celui-ci, allié d’hier, a pris Aoun au dépourvu en décidant de s’imposer comme la seule force en présence dans certaines régions du Mont-Liban. Puis quinze années se sont écoulées après son départ pour la France, des années d’exil qui ont permis à Aoun d’approfondir et d’enrichir sa culture politique en dehors du seul contexte de la guerre. Le troisième visage est celui du « héros » de retour au pays, honoré le 7 mai 2005 par un grand rassemblement, au lendemain du retrait syrien du Liban et suite au séisme provoqué par l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri – les supporters du général Aoun ce jour-là sur la place des Martyrs formaient l’épine dorsale du mouvement du « 14 Mars » qui venait de naître. Le quatrième visage de Michel Aoun s’est dévoilé lors de sa rencontre historique avec le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, dans l’église de Mar Mikhaël, le 6 février 2006. Cette rencontre a constitué un tournant majeur, non seulement pour le milieu politique mais aussi dans la vie de la nation libanaise tout entière. Elle a mis l’accent sur le rôle historique de la résistance dans la libération du pays face à l’occupation israélienne, et donné un incubateur chrétien à cette résistance, puisque Aoun représentait alors environ 70% des chrétiens (une popularité qu’aucun leader maronite n’avait atteinte avant lui sur l’ensemble du territoire libanais, y compris Béchir Gemayel). Aujourd’hui, dans ce mandat né par césarienne, les Libanais attendent de découvrir le cinquième visage de Michel Aoun, celui de président de la République.

Exit mobile version