Après avoir assuré au régime syrien (et à ses alliés) un secours qui pèse dans la balance des forces en présence en cette cinquième année de guerre en Syrie et contre elle, il faut bien reconnaître que la Russie de Poutine a réalisé des gains notables sur les plans politique et économique. Elle s’est ouvert des portes qui historiquement lui étaient fermées, dont la plus notoire est la porte de l’Arabie Saoudite (et d’une partie du Golfe). La Russie a tiré bénéfice de la convergence de ses intérêts avec ceux de l’Arabie Saoudite autour du pétrole et du gaz. Ses gains comportent également une consolidation de ses relations avec l’Israël de Netanyahu, ainsi que la reconstruction d’une relation « amicale » avec la Turquie d’Erdogan, surtout après le coup d’Etat manqué qui a perturbé l’alliance entre Ankara et Washington. La Russie regagne donc son rôle de grande puissance (sans être toutefois revenue au statut de super-puissance) ; elle a acquis une présence de poids, qui pourrait aller jusqu’à un partenariat avec les Etats-Unis… y compris dans la relation avec l’ennemi israélien ?
On attribue généralement ces gains russes à deux facteurs : premier facteur, la politique de « retrait » (au moins militairement) du président américain Barack Obama vis-à-vis du Moyen-Orient, ou plutôt du Levant, retrait qui s’explique par l’amère expérience de la guerre d’Irak, d’autant plus qu’il passe ses dernières semaines à la Maison-Blanche. Second facteur, l’engagement de l’Arabie Saoudite dans les aventures militaires, comme au Yémen, entraînant avec elle certains pays émergents du Golfe.
Cependant, si décompter les gains russes pourrait s’avérer complexe, recenser les pertes arabes suite aux guerres fratricides reste facile en comparaison, car ces pertes sont immenses. Les troupes turques occupent maintenant des territoires syriens (jusqu’à « nouvel ordre » dit-on), pendant que des forces occidentales sous tutelle américaine croissent en nombre et en matériel, opérant en Irak avec le slogan « Libérer Mossoul de Daech », où la Turquie tente aussi de réaliser des gains supplémentaires… Sans oublier que le camp occidental, toujours sous commandement américain, est présent dans de nombreux pays du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, sous couvert de « formation », ou dans l’objectif affiché de « faire face à la menace iranienne ».
Il est vrai que l’aide russe au régime syrien était nécessaire face à la foule innombrable de ses adversaires, une foule où l’on rencontre de nombreux dirigeants arabes ainsi que la Turquie, et même Israël, qui a monté des camps de formation pour les diverses oppositions en lice, particulièrement celles qui arborent la bannière islamiste comme Al-Nosra (succédané d’Al-Qaida) et Daech… Mais il est également vrai que la résolution de cette guerre a besoin de ce que personne ne peut offrir sinon le régime syrien lui-même, car là est bien tout l’enjeu.